Vendredi 15
C’est comme une ritournelle, quelque chose qui chante dans la tête et une question qui reste. On en est où du silence ? Le silence, c’est ce qui me remplit lorsque je mets un genou à terre et que je me laisse remplir par la félicité du monde, par le chant des objets, par la douce musique des mots ou des images. Je me rends compte que plus les jours passent, plus je me laisse emplir par les joies simples et libératrices qui naissent de ces tranches de bonheur succinctes, mais réelles, tangibles, des joies sans prétentions. Il est question de silence lorsque plus rien ne bouge, que tout se tait aux alentours, que tout se tasse, que tout se repose de lui-même, que le tout se libère volontairement de ses scories, que l’ombre reste derrière et se tait ; je regarde la haine déferler, la rancœur s’exercer, mais je suis dans une posture simple et douce ; le nécessaire silence. Le silence fait taire tout le reste, il épuise l’aigreur, il met en lumière l’imbécile lourdeur de ce qui fâche, la fait s’éteindre d’elle-même, réduite à néant.
A genoux dans la salle du Temple de l’Aube, je regardais les Thaïs du coin poser leurs deux genoux devant l’estrade où le moine les bénissait avec son faisceau de roseaux trempé dans l’eau en récitant quelques mots simples qui résonnaient en moi comme des montagnes de douceur ; alors je me suis approché, rampant jusqu’à lui dans une posture de complète dévotion et j’ai déposé un don dans la coupelle, j’ai joint les mains et j’ai baissé la tête pour qu’il me bénisse. Son sourire bienveillant comme le sourire du Bouddha m’a rempli le cœur d’une joie douce. Dans son homélie prononcée de sa voix basse et monocorde, j’ai entendu qu’il y a mêlé les mots « good luck ». Il m’a demandé de tendre la main droite, paume vers le haut, et il y a noué un bracelet blanc en laine tressée, un symbole fort d’unité avec le monde, avec la foi, avec Bouddha, en prononçant encore d’autres paroles. Je lui ai adressé un wai rapide et j’ai reculé de telle sorte à ne pas lui tourner le dos, et je suis sorti du temple.
Un jour, le bracelet se brisera et il faudra que je le conserve comme souvenir de ce moment-là.
Touché par la lumière de l’Islam, touché par la lumière du Bouddhisme, le tout en quelques mois.
Je me suis dit qu’en tant que baptisé catholique, je n’aurais pas dû faire cela, mais pour moi, et cela de manière simple et sans arrogance, c’était une façon de renier définitivement mon ancienne religion, d’en laisser les oripeaux derrière moi, d’en abandonner pour toujours tout ce qui en fait une religion injuste, culpabilisatrice, appauvrissante, fondamentalement oppressante et obscure. Désormais, je suis du côté de la lumière, sans religion et sans foi, simplement dans le silence et la contemplation de ce qui me permet de s’ouvrir, sans plus regarder ce qui se trouve dans l’ombre, sans plus m’attarder sur ce qui m’empêchait d’avancer.
Le nécessaire silence.
Ton billet est magnifique . Une belle expérience ce voyage tout compte fait , tu y as trouvé aussi la lumière …
Je crois qu’en fait je suis désormais en capacité de trouver la lumière partout où je vais, une fois l’angoisse dépassée 🙂