Archive for June, 2013

#96 #Celui qui voulait apprendre

Jun 30 2013 Published by under Uncategorized

Cheese seller at Tbilisi Market

Photo © Blazej Mrozinski

Moi, je ne demande rien. Je ne réclame ni admiration, ni renvoi d’ascenseur, ni adulation. Je ne veux qu’une seule chose : diffuser du bonheur. Il m’écrit deux mails en deux jours, deux lettres qui valent tous les bonheurs du monde, qui se satisfont de leur propre sincérité :

Je viens de regarder le documentaire sur la Turquie. Je veux te dire que c’est incroyable, je suis surpris et en même temps content. Je me cultive à chaque fois en regardant ces documentaires.  Je me pose une question, comment tout cela est possible ? J’ai perdu beaucoup de temps en n’ayant pas regardé tout ça avant. C’est magique. L’intelligence des gens qui vivaient avant, leurs œuvres, leurs  méthodes. Je commence à penser que l’être humain trouvera toujours une solution contre un danger. Je te remercie Romuald d’ouvrir à chaque fois mes yeux (tu as vu j’ai inventé une nouvelle expression). Dès que j’ai fini de regarder l’une des vidéos, je pense tout de suite à toi et je te remercie même si tu n’es pas là. Parce que grâce à ton aide je me cultive. Je veux vraiment être cultivé, j’en est marre de ne pas l’être, j’espère je vais y arriver.
Bonne soirée à toi.

Le lendemain :

Merci beaucoup pour tout le temps que tu as pris pour préparer tout cela.  C’est très compréhensible.
J’ai regardé sur YouTube un film sur Napoléon Bonaparte. Il y a 4 épisodes mais je n’en ai regardé qu’un pour l’instant, je viens de le finir. J’ai l’impression que je comprends un peu mieux qu’avant quand je regarde un film documentaire.
Par rapport à la musique arménienne, oui j’aimerais bien écouter. C’est vrai que j’ai commencé à m’intéresser à beaucoup de choses, mais c’est juste qu’il y a des choses qui me plaisent plus que les autres, c’est normal je pense.
Tu sais que petit à petit je commence me sentir plus rassuré.
Bon week-end à toi aussi.
A lundi. Merci encore.

Après ça, je ne comprends pas qu’on ne comprenne pas que j’aime mon métier… En ce qui me concerne, si tout venait à s’arrêter brutalement, je n’aurais aucun regret, aucune rancune, si j’ai pu faire en sorte que tout ceci arrive. Évidemment, ça fait un bien fou à l’égo, mais c’est aussi cela qui donne envie de continuer.

Terminé le livre de Daniel Rondeau et commencé celui de Jonathan Littell, Carnets de Homs. Lecture hachurée, écriture saccadée, un rythme fou qui traduit l’urgence dans laquelle ces mots ont été écrits sur le terrain.

Abu Abdallah : « Alors, tu as vu des salafistes ici, comme dit Bachar ? »
Raed : « Ça dépend. Qu’est-ce que tu entends par salafistes ? »
— « Justement, ce mot veut dire deux choses.  Les musulmans du pays de Cham (Syrie) suivent la voie de la modération. Pour bien vivre, ils suivent l’exemple des ancêtres pieux, d’un homme pieux d’autrefois qui a vécu justement dans l’islam. Ça c’est le sens original de salafiste. L’autre sens, le courant takfiriste, djihadiste, terroriste, c’est une création des Américains et des Israéliens. Ça n’a rien à voir avec nous. »

Jonathan Littell, Carnets de Homs
Gallimard, NRF, 2012

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#95 #La vie devient une enquête

Jun 28 2013 Published by under Uncategorized

Il suffira d'un signe

Photo © Lea Marzloff

Je me rends compte que je passe mon temps à prendre des notes sur mes rencontres, sur les gens qui croisent ma vie et ma route et les mots qui traversent ma route sont souvent remplis d’un sens amplifié par la simple requête de mes intentions. Sentir l’autre, le sentir bouger, le sentir vivant. Je ne suis moi-même qu’en étant certain de l’autre. Difficile dialectique. J’ai réussi à me fondre dans l’immense communauté des autres.

Mieux vaut ne pas sortir le carnet dans la rue. Les gens deviennent tout de suite paranoïaques.

Jonathan Littell, Carnets de Homs
Gallimard, NRF, 2012

A mon retour de Turquie cet été, je suis tombé sur cet article concernant la Syrie parce que j’étais resté quasiment un mois sans savoir ce qui s’y passait alors que je me trouvais à moins de sept heures de routes d’Alep lorsque je me trouvais à Nevşehir : “Père et fils à la guerre, où on voit ça ? Pays de tarés.” (fichier PDF : Libe_28-08-12). Je n’arrive pas à m’en détacher et garde ces mots plantés dans la chair. Évidemment, je n’arrive pas non plus à ne plus penser à Natal, que j’ai pu voir cette semaine (large sourire, elle parlait bien et fort) et qui, derrière son visage souriant, masque tout le désarroi de sa situation. Je ne suis personne ici, autant que je retourne dans mon pays pour mourir, ça ne pourra pas être pire. Je ne peux m’empêcher de culpabiliser, parce que c’est par mon insistance auprès de ma responsable et de mes collègues qu’elle a réussi à entrer dans l’école. Aujourd’hui, privée de statut, privée de papiers, privée de Sécurité Sociale, elle ne peut même pas bénéficier de la gratuité des transports et ne peut même plus venir chez nous. Aujourd’hui, elle est sans statut, elle n’a même pas de statut juridique. Je suis prêt à faire des allers et retours pour aller la chercher et qu’elle puisse travailler ; mais ma responsable ne me le permettra pas. Ce qui me ronge au quotidien, c’est de ne pouvoir aider tous ceux qui le méritent. Je suis pour cette raison un mauvais professionnel, trop d’affect dans mon jugement, dans mes pratiques, trop de connivences, trop de tout, mais c’est ce qui fait mon humanité, je n’y peux rien. Je préfère être un mauvais professionnel, mais un humain bon, en accord avec son esprit.

Mes carnets, mes notes, mes écrits seront certainement un jour les témoins à mes propres yeux de ce que j’ai réalisé, ou que j’ai été empêché de réaliser…

Des nouvelles de mes jeunes. Fanta ne revient plus, elle veut attendre tranquillement chez elle les résultats de ses examens qu’elle aura le 5. Marina malade. Jordan toujours au rendez-vous. Lisa, vient quand elle n’est pas trop stressée, elle m’inquiète énormément. Marwa, rarement là, elle commence son stage lundi à la poste, gros soucis de famille. J’ai encore passé pas mal de temps avec Tigran, qui pour me remercier de l’aide que je lui ai apportée a fait un cadeau à mon fils, parce que je lui avais spécifié que je n’avais pas besoin qu’il me remercie en m’offrant quelque chose. Il a tout de même réussi son coup en visant mon fils. Tous les deux étaient très émus.

Question master, je suis dans le plus grand flou, il faut que je me lance. Ce week-end, je pense, sera décisif pour l’avancée de mon travail.

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#94

Jun 28 2013 Published by under Uncategorized

Ma derbuka est enfin arrivée. Elle sonne du tonnerre, elle est du plus bel effet avec son corps en aluminium et ses ciselures fines.
Deuxième kilo perdu en montant sur la balance ce matin, je ne suis pas peu fier, et surtout, je sens vraiment la différence. Je le sens et je le vois. C’est la première fois de ma vie que je fais un régime et ça ne me pose aucun souci. Au contraire, j’ai l’impression de me sentir de plus en plus discipliné. Plus ça va, plus ma vie se rythme. Je me couche presque à heure fixe, me lève très tôt pour accomplir certains rituels, toujours dans le même ordre, café, lecture, douche, et la vie commence. Récemment j’ai encore remonté l’heure de mon réveil de 20 minutes, et j’adapte en fonction de mon état de fatigue. Ce matin une heure de plus. Tout va bien. Tout va très bien. Dans la tête, dans le corps…

The lost art (2)

Photo © Marwa Morgan

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