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Reliques barbares. La relique barbare ; c’est ainsi que John Maynard Keynes nommait l’or, mais c’est ainsi que l’on pourrait nommer les bijoux de ces pays dont on a du mal à conserver le souvenir tellement ils sont devenus inaccessibles, lointains. Tout ceci ne doit pas faire perdre de vue le fait que les humains, s’ils ont créé des chefs-d’œuvre, ils ne sont pas exempts de les détruire. Les Mongols ne sont pas gênés pour raser certaines des plus belles cités ; Balkh ou Gonbad-e Kāvūs font partie du lot ; il ne reste plus rien des antiques cités, mais les humains sont toujours là.
Je regardais hier le prix des billets d’avion pour Mashhad en Iran, c’est donné. On dirait que ces destinations sont bradées étant données les sanctions économiques appliquées au pays. Adresse de l’ambassade de France en Iran : 85, rue Neauphle-le-Château, Téhéran. A mourir de rire…
Mashhad, frontière avec le Turkménistan, moins de 200km de l’Afghanistan, icône du chiisme, tombeau de l’imam Reza (Abû Hasan `Alî bin Mûsâ al-Ridhâ, أبو الحسن علي بن موسى الرضا), le huitième du chiisme duodécimain.
Connaître le monde inconnu… n’en reste que des témoignages.
Photo © Sacred Sites
Oublions le bleu impérissable de la mosquée de Gohar Shad, la chaleur accablante dans les cours qui semblent résonner dans une harmonie de couleurs et de formes. Oublions l’obscurité et le luxe des miroirs à l’intérieur du sanctuaire, les gémissements et les pleurs des pèlerins décharnés, ces chiites venus de tous les coins de l’Asie et qui ont rêvé pendant des dizaines d’années de baiser les barreaux du sarcophage. Ils ont traversé le désert et subi les pires fatigues pour pouvoir aujourd’hui poser leurs pieds nus sur le sol de marbre et voir s’ouvrir les quatorze portes d’argent et les deux portes d’or. Ils s’agenouillent alors en sanglotant, s’accrochent avec les cris rauques de l’épuisement et de la joie hystérique aux barreaux de fer derrière lesquels, dans le noir, repose l’imam, au milieu de tapis modernes, de turbans, d’offrandes votives et de textes saints. Dehors, tout autour de la spacieuse mosquée, les artisans — chaudronniers et orfèvres, selliers et tailleurs — travaillent dans de minuscules échoppes semblables à des cages. Dans des pièces aux voûtes arrondies, remplies de tapis poussiéreux, les vendeurs marchandent, et le puits qui descend du bazar jusqu’aux ténèbres de la citerne compte cinquante marches. Les porteurs en guenilles vacillent sous le poids de leurs outres de cuir.
Annemarie Schwarzenbach, Où est la terre des promesses ?
avec Ella Maillart en Afghanistan (1939-1940)
Editions Payot
Je me demande si un jour je me satisferai de l’endroit où je me trouve…