#58
Shah-i Mashhad
Le printemps est bel et bien là, même si les températures jouent au yoyo. Je regardais dimanche les branches décharnées d’un petit érable planté contre le muret, peut-être un negundo ou un flamingo, ses bourgeons peinaient à sortir ; en cette seule journée de dimanche, et depuis ce jour, les frêles bouquets de feuilles ont poussé de presque trois ou quatre centimètres ; une extraordinaire poussée qui a dû lui demander des efforts surnaturels…
Hier, j’ai pris le temps de préparer une séquence qui m’a permis de faire un peu de magie avec les stagiaires qui m’ont dit “oui, ben ça va être facile tout ça…” et une heure après ils étaient toujours en train de travailler dessus, deux se sont complètement trompés et ont dû tout recommencer. Le truc facile s’est transformé en véritable enfer pour eux et ils sont ressortis de là en sachant utiliser des outils qu’ils croyaient connaître. Pari gagné. J’aime quand la magie prend, j’aime faire des tours de passe-passe avec eux, faire en sorte que les connaissances soient transmises, non pas dans la douleur, mais dans un rite dont la pratique s’assimile à celle du chamane ; mise en condition, connivence, introspection, transe, délivrance… C’est au formateur de trouver le bon canal, la bonne transe, le bon rythme de tambourin pour que tout se mette en place sans douleur…
Avant de partir, j’aimerais avoir le temps de lire ce petit livre sur le Mont Athos, cet étrange lieu interdit à toute créature femelle en général et aux femmes en particulier. La République Monastique du Mont Athos.
J’ai lu plus de livre en quatre mois que l’année dernière en un an. Et en ce moment, je lis plus de livres que je n’en achète, ce qui est un inversement de tendance non négligeable…
Par une large porte à ogive, je suis entré dans la médina. Elle s’endormait. Volets bleus persans tirés sur de petites boutiques, échoppe d’argentier entouré d’un crépi vert amande, ce génie ingénu des couleurs si fort dans tout l’islam. Fumées du marchand de brochettes, flaques encore tièdes du dernier baigneur au hammam. Pas, odeurs de menthe, dernière flûte. Entré dans le dernier café ouvert.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir
Afrique du nord, automne 1958
Éditions Payot