Mais enfin, qu’est-ce qui ne va pas ? Pourquoi tu ne parles pas ? Qu’est-ce qui se passe ? Ce n’est pas ton habitude… Tu ne ris plus et tu ne donnes ton avis sur rien.
Oui, je sais bien.
Je n’ai pas d’excuses pour tout ceci, mais je m’en excuse.
Je ne comprends pas bien.
Désolé.
Mais je vais bien, ne te soucie pas. Je vais même très bien, ce n’est pas ça.
Mon esprit est ailleurs, je ne sais pas bien où, il est juste ailleurs.
Son esprit s’envole ailleurs, se cramponne à une idée, à quelques versets d’une prière.
Seigneur, j’étais libre parmi toutes les fleurs, mais j’ai choisi les tristes roses de ce monde.
C’est pourquoi mes pieds sont lacérés, et mes yeux aveuglés par la sueur.
Wu Ming 4, L’étoile du matin
Editions Métailié
Je crois que j’ai du mal à revenir.
Hier après-midi, je suis sorti de ma retraite dans laquelle je me suis débattu avec un bouddha impassible qui se faisait remplir de couleurs de bronze et d’or et je suis allé dans la forêt de Mériel, derrière chez mes amis. Il y a un bois dans une propriété privée, derrière les grilles et les murs hauts d’une ancienne demeure perdue au fond des bois. Une vaste clairière où rien ne pousse ; du sable partout, du sable grossier de carrière où des petits coquillages gisent au pied des chênes, à deux cents cinquante kilomètres de la première plage.

Mériel, avril 2013
Je me suis allongé dans le soleil froid et bas d’une fin d’hiver qui filait entre les ramures fantomatiques des arbres pas encore verts, au milieu du sable glacé tandis que la caresse du soleil sur mon manteau me réchauffait dans le silence. L’après-midi était magnifique et le vent s’était tu ; pendant de longues minutes, je me suis senti vivre, le sang battant dans mes tempes, l’air froid entrant dans mes poumons ; il n’y a pas besoin de marcher pour se promener en forêt.
Parfois, la vie ressemble à un parking de banlieue que la lumière borgne d’un lampadaire éclaire à trois heures du matin… Mais pas tout le temps.

Maisons-Laffitte, mars 2013
Se mettre au travail, se mettre au travail, se mettre au travail… Alors que le monde est obscurci par tant de choses qui me traversent et m’éreintent à chaque fois un peu plus. Étant donné tout ce qui a été écrit, tout ce qui se donne à lire de bonne qualité, tout ces écrits émanant des cerveaux humains qui sont passés sur terre, qu’on a traduit, qu’on a publié, toutes les notes qui s’accumulent sur mon bureau, les références, les renvois, les hypothétiques captations qui sont censées générer d’autres idées, d’autres horizons… Étant donné tout ce qui existe et qu’on n’aura jamais le temps de lire, je propose qu’on arrête de lire et qu’on devienne idiot.
L’idiotie comme projet humain global.
Après tout, à quoi ça sert de se remplir comme ça, indéfiniment ?
Les mots donnent du sens aux choses. Utiliser un langage revient à construire un monde. Je crois que le mystère est là.
Wu Ming 4, L’étoile du matin
Editions Métailié
J’aurais passé cette journée à lire, à peindre, à attendre que ça sèche, et à sommeiller doucement tandis que le temps passe. Le soleil est réservé à ceux qui le regardent.