#91
Le jour le plus long de l’année est derrière moi, il ne m’a pas touché de sa grâce. Il s’en est allé avec le souvenir des pages de Daniel Rondeau sur İstanbul et les vapeurs d’un verre de rakı glacé. Pour toute musique en ce jour de fête, le oud du Trio Joubran et le calme avant que le vent ne souffle derrière les volets.
J’essaie patiemment de me réapproprier mon histoire, de la réécrire à partir des expériences nées de mes souvenirs, ne sachant plus réellement ce qui a été inventé, ce qui ne l’est pas. Il faut sans arrêt écrire l’histoire dans les deux sens ; depuis le présent vers le passé et depuis le présent vers l’avenir. Tentatives vaines qui me jettent dans le trouble des nuits jouant à cache-cache.
Sur les rives, toutes les terrasses des restaurants sont pleines ; les plus pauvres festoient sur les quais ou dans les jardins publics, les pieds dans l’eau. Des hommes boivent de la bière à la bouteille, et envoient des saluts de plus en plus affectueux aux bateaux. Ils ne chôment pas car tous les bateaux d’Istanbul sont sur le Bosphore. Sur chaque embarcation, on boit, on fait griller de l’agneau ou du poisson, on dîne, on danse, on chante, on s’embrasse, on parle.
Daniel Rondeau, İstanbul
Folio Gallimard pour NiL Editions, 2002
Voilà, j’ai envie d’y retourner, en plein été au mois d’août, pour le prochain ramadan, dans onze ans, ou dans la tristesse de l’hiver humide et neigeux. J’y suis déjà à nouveau. Dans onze ans… j’aurais 50 ans… Il va falloir faire vite, ne sachant plus si la vie est devant ou derrière.