#115
La chaleur tonifie mon corps et le rend parfois plus maître de lui-même que je ne peux l’être moi-même. En revanche, mon esprit s’enfonce dans une étrange terreur ; mon imagination me donne tous les signes d’un tarissement incroyable, ma capacité de penser s’arrime au nécessaire vital mais guère plus. Je deviens sec comme un coup de trique.
Trop facile de toujours mettre ça sur le compte de la fatigue d’une fin d’année chargée. Les excuses sont toujours trop faciles et n’ont en elles aucune espèce d’exigence. Ou alors est-ce moi qui en ai trop, d’exigences. Je n’arrive à m’accrocher à rien et trouve tout empli d’une grande vanité.
Photo © Andrea Floris
Siddhartha se souvint tout à coup d’une phrase que la courtisane lui avait dite au temps de sa jeunesse. Cette phrase c’était « Tu ne peux pas aimer », et il en avait convenu, et il s’était comparé, lui, à une étoile et les autres hommes à la feuille qui tombe ; ce qui ne l’avait pas empêché de sentir un reproche dans ces paroles. En effet, jamais son cœur n’avait pu se fondre dans celui d’un être aimé, se donner pleinement jusqu’à l’oubli complet de soi-même, jusqu’à faire des folies par amour pour un autre ; jamais il n’avait été capable d’une chose semblable et c’était là, croyait-il alors, la grande différence qui le séparait du commun des mortels.
Hermann Hesse, Siddhartha
Editions Bernard Grasset, 1925
Traduit de l’allemand par Joseph Delage