Samedi 16
Voici trois jours que je n’arrive pas à me reposer et que je me lève à des heures indécentes le matin. 4h30 avant-hier, 3h30 hier, 4h30 ce matin avec un répit de deux heures parce que je me suis forcé à rester au lit. Je me sens complètement décalé, que ce soit en ce qui concerne les horaires, mais en ce qui concerne le rythme de vie également. Je me sens à nouveau propulsé dans un tourbillon qui me dépasse et dans lequel finalement, j’ai peut-être un peu de mal à trouver ma place.
Depuis que je suis réveillé ce matin, j’entends au-dessus de ma tête les avions qui accélèrent dans le couloir aérien, avec ce bruit long caractéristique, plaintif, langoureux, de grosse bête poussive et mes pensées se perdent dans les halls immenses et climatisés des aéroports internationaux. Je pense que je pourrais très bien passer ma vie en transit, à arpenter les salles d’attente et les portes d’embarquement, les stands d’enregistrement, les check-in en ligne qui facilitent pas mal la vie, les bagages à peser, à ranger, à ne plus savoir dans quelle poche j’ai rangé mon passeport et ma carte d’embarquement, à regarder les indications sur les panneaux des départs, à espérer et à prier le dieu des aiguilleurs du ciel qu’il n’y ait pas d’annulation de vol et que tout se passe bien au moment de l’atterrissage. Le tarmac, les hôtesses, les adorables comme les désagréables, les repas qui tiennent savamment dans l’espace restreint du plateau qui lui-même ne dépasse pas de la tablette du siège que le voisin allonge au moment où vous vous servez de l’eau dans votre gobelet en plastique et qui vole en éclat au moment où le rebord compresse le bord du godet… Crac… La queue aux toilettes, les gens qui marchent dans les allées pour se dégourdir les jambes, celle qui campe devant les toilettes parce qu’elle a le mal de l’air, la course dans l’aérogare parce que comme votre vol a du retard vous devez attraper votre correspondance au pas de course, le portique qui sonne alors que vous êtes quasiment à poil, la ceinture dans le bac sur le tapis roulant et les chaussures à la main… Presque à poil devant des agents de sureté mal aimables… Les joies du transport aérien.
Je suis à peine revenu que déjà je me vois repartir, reprendre mon envol vers d’autres terres que déjà je compulse depuis mon atlas, depuis les cartes qui ne quittent pas mon esprit. Je me sens en bien ce moment, toujours dans cet entre-deux de l’incertitude, ma vie n’est presque plus que l’attente constante d’un nouveau départ, perdu en transit ici, dans ma nouvelle vie. Vous voyez ce sourire sur mes lèvres ?
Et puis si j’ai l’air d’avoir les fesses si blanches, c’est parce que je suis vraiment très bronzé…