#52
Je n’ai rien dit du genou, celui qui me fait souffrir depuis une semaine, souvenir de Cappadoce, et qui m’a fait ressembler à un pauvre hère toute la journée, moral en berne. Le médecin l’a regardé et écouté craquer avec un air maussade pas très rassurant. Rotule qui n’est pas dans sa gouttière. Pas seulement celui-ci, l’autre aussi. Radio et on verra, je ne peux pas me prononcer. Air sombre. Anti-inflammatoires. Ce matin, je peux marcher sans boitiller, on verra bien ce que ça donne. La perspective de passer mon après-midi à la clinique me ravit. J’emmènerai de quoi lire.
Les jours passent, le départ approche et je n’ai pas encore d’hôtel pour la Cappadoce mais je vais trouver ; la période est fréquentée (la haute saison ?) et les prix flambent, je vais me rabattre sur du bas de gamme, Mustafapaşa trop cher, j’irai certainement m’enterrer à Çavuşin, ce qui me va plutôt bien, à deux pas des vallées, dans le désert de roches friables, dans le tuf.
Ça va pas mal, cela s’étoffe, le ton se trouve, mais éviter que cela s’estompe, il faut vraiment nourrir ce livre des petits événements quotidiens, des calories et vitamines à disposition, et lui faire à force de fort amour des arêtes un peu coupantes.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir
France, 1958,
à propos de L’usage du monde en préparation
Éditions Payot