J’aurais dû travailler hier soir, mais j’ai passé mon temps à plier mes vêtements et à repasser mes chemises et mes pantalons. En écoutant ce très beau CD que j’ai acheté à Istanbul : KEN’ÂN ER-RİFÂÎ’den İLÂHİYÂT-I KEN’AN : LÂ EDRÎ.
De la très belle musique soufie lancinante exécutée par un orchestre d’une dizaine de personnes. J’ai bu un verre de vin de fraise délicieux d’Ürgüp en mangeant des raviolis cuisinés, en tentant vainement de regarder On the road de Walter Salles, mais mes yeux se fermaient tout seul ; j’ai été incapable de me mettre au travail.
Je me suis pourtant réveillé avant mon réveil.
Retour sur terre, parmi d’autres vivants. Les heures intactes s’enchainent et m’étourdissent jusqu’à l’épuisement. Ce soir je suis allé à mon cours de guitare et Isabelle m’a demandé de commencer à travailler un Andante affettuoso en la mineur de Joseph Meissonnier (1790-1855) pas simple, alterné en butté et arpège. L’étude de Dionisio Aguado que j’ai jouée à mon audition (et que j’ai partiellement massacrée) a très bien roulé ce soir. Je ne l’ai jouée qu’une seule fois et Isabelle m’a dit « ce qu’il y a de bien quand tu joues, c’est que c’est musical. » Je dois avouer que j’apprécie le compliment.
Sinon j’essaie de reprendre pied. Je me sens incroyablement épuisé ; il va me falloir quelques jours.
Tigran m’a montré un site internet très bien fichu pour apprendre le turc et chatter avec des vrais gens. Ce type est incroyable.
J’ai commencé hier matin à lire La nuit, d’Elie Wiesel. Je n’aurais pas le temps de terminer avant de partir, mais je ne compte pas l’emmener avec moi. J’ai besoin d’autre chose pour là-bas, une autre charge émotionnelle. Ce matin, je me suis réveillé à 4h00, incapable de rester plus longtemps endormi, flottant dans un demi-sommeil pour finalement venir à penser au boulot.

J’emmènerai avec moi dans mon lucksack : Istanbul d’Orhan Pamuk qui sait si bien dire sa ville et un livre d’histoire aussi. J’hésite encore entre Le jour des barbares : Andrinople, 9 août 378 (d’Alessandro Barbero) et Lépante: La crise de l’Empire ottoman (de Michel Lesure). Ce qui est certain c’est que ça parlera de Turquie. J’ai déjà quelques projets d’excursion : les vallées de Çavuşin (quand j’y pense, j’avais toute une journée pour visiter les trois principales vallées et je n’en ai fait qu’une seule en passant par des chemins pas possibles), Mustafapaşa, retourner à Pancarlı, si j’arrive à retrouver la route cahoteuse de ses petites églises troglodytes, la vallée de Zelme, je retournerai aussi aux sources chaudes de Bayramhacı, peut-être irais-je jusqu’au fantastique Tuz Gölü qui est tout de même un peu loin et dont on ne trouve pas du tout trace dans les guides…
Pour Istanbul, j’ai plein de projets aussi : les îles des Princes (s’il n’y a pas trop de monde parce que hein), certainement le nord ouest de Fatih, Balat, Fener, Ayvansaray (l’ancien quartier des Blachernes et l’église Sainte-Marie), le patriarcat orthodoxe avec l’église Saint-Georges renfermant une superbe iconostase en or, la mosquée Zeyrek Sultan (ancien monastère du Christ Pantocrator). De quoi faire, de quoi rêver, de quoi manger (balık ekmek à Eminönü)…
Tout est prêt, ce soir je rangerai tout bien carré, en n’oubliant pas les cartes (surtout ma très précieuse carte des tombeaux d’Istanbul), les guides, mon Istanbulkart qui me permettra de prendre le tramway.
Je vais là-bas pour m’extraire quelques instants de l’humanité pleurnicharde et auto-centrée qui n’arrive pas à se départir de ses oripeaux du malheur. Je vais là-bas pour récupérer, pour me récupérer et pour me laisser détruire aussi.
Je ne suis plus là.