Hier après-midi, je suis sorti de ma retraite dans laquelle je me suis débattu avec un bouddha impassible qui se faisait remplir de couleurs de bronze et d’or et je suis allé dans la forêt de Mériel, derrière chez mes amis. Il y a un bois dans une propriété privée, derrière les grilles et les murs hauts d’une ancienne demeure perdue au fond des bois. Une vaste clairière où rien ne pousse ; du sable partout, du sable grossier de carrière où des petits coquillages gisent au pied des chênes, à deux cents cinquante kilomètres de la première plage.

Mériel, avril 2013
Je me suis allongé dans le soleil froid et bas d’une fin d’hiver qui filait entre les ramures fantomatiques des arbres pas encore verts, au milieu du sable glacé tandis que la caresse du soleil sur mon manteau me réchauffait dans le silence. L’après-midi était magnifique et le vent s’était tu ; pendant de longues minutes, je me suis senti vivre, le sang battant dans mes tempes, l’air froid entrant dans mes poumons ; il n’y a pas besoin de marcher pour se promener en forêt.
Parfois, la vie ressemble à un parking de banlieue que la lumière borgne d’un lampadaire éclaire à trois heures du matin… Mais pas tout le temps.

Maisons-Laffitte, mars 2013
Se mettre au travail, se mettre au travail, se mettre au travail… Alors que le monde est obscurci par tant de choses qui me traversent et m’éreintent à chaque fois un peu plus. Étant donné tout ce qui a été écrit, tout ce qui se donne à lire de bonne qualité, tout ces écrits émanant des cerveaux humains qui sont passés sur terre, qu’on a traduit, qu’on a publié, toutes les notes qui s’accumulent sur mon bureau, les références, les renvois, les hypothétiques captations qui sont censées générer d’autres idées, d’autres horizons… Étant donné tout ce qui existe et qu’on n’aura jamais le temps de lire, je propose qu’on arrête de lire et qu’on devienne idiot.
L’idiotie comme projet humain global.
Après tout, à quoi ça sert de se remplir comme ça, indéfiniment ?
Les mots donnent du sens aux choses. Utiliser un langage revient à construire un monde. Je crois que le mystère est là.
Wu Ming 4, L’étoile du matin
Editions Métailié
J’aurais passé cette journée à lire, à peindre, à attendre que ça sèche, et à sommeiller doucement tandis que le temps passe. Le soleil est réservé à ceux qui le regardent.
Si un jour je gagne au loto, si je peux tout faire parce que j’ai tout, je promets de partir en Syrie pour aller faire la guerre, rendre les Syriens et les chefs d’œuvre de l’architecture de l’Islam à la liberté, je pourrais arriver en Iran et virer les chefs de guerre pour faire de ce grand peuple un peuple libre ; j’irai vivre dans le désert et cavaler sur un cheval avec les nomades, dormir sous une tente de tissu rapiécée mille fois, là où l’argent n’a pas sa vraie valeur, pour justement dévaloriser la fonction symbolique de l’argent… Je suis toujours aussi idéaliste.
Mais voilà, on est choisi, on est élu par le Dieu Loto…

Tarmac de Nevşehir, août 2012
Si un jour, je suis élu, alors je donnerai tout, ou presque tout, je garderai le strict nécessaire pour ne pas que ma banquière me casse les bonbons tous les mois en me disant que je dépasse le nombre de jours de découvert autorisés. Je pourrais passer tout mon temps à voyager, auquel cas je n’aurais plus besoin de passer tout ce temps à classer mes photos de voyage, à les retoucher, à écrire, à me souvenir…puisque je pourrais faire ça en direct. Ce serait tellement bien. Romuald autour du monde. Finalement, ça ferait gagner du temps à tout le monde…