#113

Jul 21 2013

Ce matin, le soleil arrive à peine à percer dans un ciel laiteux ; la journée risque d’être chaude et le retour sur Paris le sera assurément. Pour l’instant, à 9h00 du matin, il fait déjà 19°C dehors, ce qui est exceptionnel pour ici.
Hier, je suis allé jusqu’à Tréguier, à la coopérative marine où je me suis acheté un superbe pull-over “officier” à la coupe ajustée, un peu rèche mais parfait pour les soirées fraîches en Bretagne, mais aussi une paire de chaussure “bateau” en nubuk bleu (des blue suede shoes en somme) très confortable puisque la semelle elle-même est en nubuk, et un sac “rucksack” (que je préfère toujours appeler lucksack) pour un prix presque indécent. Profitons-en…

Je suis allé promener mes guêtres du côté de Plougrescant, à Poul Stripo, qui est à mon sens le coin le plus sympa de la ville, avec ses petites plages encaissées qu’on peut voir se dérouler jusqu’au gouffre et au château, dans une immense baie très accidentée. L’air y est toujours particulier et l’ambiance incomparable. C’est mon petit coin de Bretagne. J’ai voulu revenir à Porz Bugeles mais les accès son désormais condamnés par la route. Dans un sens c’est plutôt bien de voir la côte et la nature reprendre leurs droits, mais d’un autre, un immense parking va très certainement développer la fréquentation. Auparavant, la vingtaine de place du petit parking empêchait de facto une trop grande affluence. Désormais, ce sont à mon avis 150 places qui sont accessibles depuis le champ de derrière. Je n’ai pas osé remettre les pieds à Porz Hir, de peur de voir des choses qui ne m’auraient pas plues. J’ai filé ensuite sur Paimpol pour me rendre à la librairie du Renard, où peu inspiré je n’ai acheté que des livres pour mon fils (L’île au trésor, Moby Dick, etc.) mais où j’ai découvert que parmi les habitués du lieu se trouvait également un certain Tanguy Le Peru… que je ne connais pas. J’avais presque oublié en donnant mon nom que je n’étais certainement pas ici un unique représentant. En revenant un peu sur mes pas, j’ai regardé la vitrine du vendeur de livres anciens (le Bateau-Livre) qui se trouve non loin et je suis tombé sur une série de Pierre Loti, dont je suis toujours les traces. Je lui ai demandé de me montrer un très beau livre illustré par Henri Deluermoz, Vers Ispahan, avec des hors-textes au pochoir magnifique, protégés par des serpentes pour les plus colorées, pour lequel j’ai fini par craquer malgré ses 110 euros… C’est un beau cadeau que je me suis fait là. J’ai payé par chèque et lorsqu’il a vu mon prénom, il s’est exclamé que j’avais un très joli prénom, très rare, et que je devais m’en trouver très fier. Je suis allé prendre un cocktail à la terrasse du K’Loys puis j’ai dîné au vent frais du soir, à la terrasse du Restaurant du Port, qui malheureusement n’est pas aussi bon que sa carte le laisse prévoir. C’est bon, mais sans plus.
En retournant à la maison, je me suis retrouvé bloqué à Pontrieux par la pardon annuel à Notre-Dame des Fontaines, où j’ai pu assister à la ferveur des catholiques d’ici, une ferveur à la fois pleine de culpabilité, d’auto-flagellation et de rites ressemblant à des rites d’un autre âge, ou peut-être quelque chose d’un peu païen. Sous le pont de chemin-de-fer, la procession s’est arrêtée pour faire un grand feu de joie pendant lequel il y avait un silence assourdissant, uniquement dérangé par le crépitement du bois sec dans les flammes. Très impressionnant. Un chant (le magnificat) a été prononcé, puis le cortège s’est ensuite remis en route dans le silence et s’est dirigé vers d’autres stations, éclairées par de multiples luminaires représentant des ancres marines, des étoiles, disséminées dans toutes la ville.
Vu Jean en coup de vent ce matin. Il ne se souvient manifestement pas de moi. Pas plus qu’il y a deux ans, ce qui me convient parfaitement. Paulette, elle, avec sa vue basse et son front haut, est moins bête qu’il n’y paraît et m’esquive soigneusement en prenant son poulet à cuire comme prétexte. Tout me va, ça nous évite facilement de nous parler. C’était certainement la dernière fois que je prenais le soin d’être poli et certainement aussi la dernière fois que nous nous voyions. Inch’Allah.
Les abrutis de derrière sont toujours aussi intrusifs, mais par chance, tout ceci va bientôt se terminer.

Encore une fois, je quitte les lieux sans trop de pincements au cœur.

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#112

Jul 20 2013

Je me suis réveillé tôt mais suis resté au lit, histoire de profiter un maximum d’un peu de sommeil ; je m’en tire avec une nuit de dix bonnes heures. Le soleil m’accueille gentiment tandis que le café coule et remplit la maison de son odeur âcre. Rien ne change ici, rien n’a de prise, si ce n’est le jardin qui se dégrade, pas entretenu, qui ne ressemble plus à grand chose et donne de grandes trouées de ciel bleu là où autrefois il y avait de l’ombre et des recoins agréables. Les jours gris et sombres, ce doit être particulièrement démoralisants. Je me souviens des jours à la bouche pâteuse…

Pour passer un peu le temps, je me suis muni d’un livre qui, je m’en rends compte maintenant est un véritable contrepoint à la situation. Sur les bords de l’Atlantique, je me permets d’emporter avec moi un livre de Fernand Braudel, dont le titre est un affront à cette région du monde qui s’enfonce dans les profondeurs sauvages des courants séculaires ; Mémoires de la Méditerranée. Honte sur moi.

Plus ça va, plus je me rends compte que l’ouverture au monde des gens d’ici est un leurre ; leur honnêteté est trompeuse, ils fonctionnent en réseau qui interdit de facto l’étranger et expulse de leur circuit tout contrevenant. Les entrepreneurs agissent en véritable mafieux, empêchent les nouveaux de s’installer, surtout s’ils viennent d’un autre endroit. Installez-vous sur leur territoire et vous verrez vos affaires gangrénées. Vous serez coulé en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Ici on ne va pas chez le pharmacien parce qu’il est agréable ou compétent ; non, parce que c’est un gars du coin. Tel entrepreneur est un bras cassé, oui mais pas grave, c’est le cousin de mon ami d’enfance… Résultante trompeuse d’archaïsmes rebutants. Le bourdon du clocher est dissonant ; ses cloches sont fendues. Pourtant, elles continuent de sonner à tout rompre, surtout le dimanche et les autres jours.

Il fallait de l’audace pour trouver ce qui rapproche cet endroit du monde avec le grand cosmopolitisme d’Istanbul : c’est Pierre Loti qui fait la jonction ; Julien Viaud parcourt le monde, écrivain maudit qu’on taxera trop souvent d’exotique et de superficiel, l’orientaliste de pacotille, mais d’ici il tirera son chef d’oeuvre le plus connu, Pêcheurs d’Islande, qu’on ampute bien souvent de son pendant régionaliste, Mon frère Yves. D’ici il partira pour Istanbul et se fera enterrer à Saint-Pierre d’Oléron. Que de lieux communs à nos deux existences qui sont tout de même trop de hasards pour être complètement fortuits. Suis-je ses traces ou précède-t-il les miennes ?

Ancrages : Le marquis Léon d’Hervey de Saint-Denys qui raconte ses rêves et arrive à les influencer (raconté par Jean-Claude Ameisen), les films de Robert Aldrich (notamment la jouissive boucherie des douze salopards), le groupe “Juveniles” aux Vieilles Charrues.

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#111

Jul 19 2013

D’abord, il y a la route… Sur l’aire d’autoroute, je tombe sur des Italiens qui ne parlent pas un mot de français, sur un type au comptoir qui me sert mon café, enjoué comme un jeune enfant qui découvre un nouveau jouet ; il est manifestement heureux de vivre et d’être là. Des éoliennes qui ne tournent pas, et du brouillard depuis Bayeux jusqu’à mon arrivée en Bretagne. La route est belle, plus agréable que l’autoroute A10. Arrivé à Précey, petite ville assise au bord de la route, je me dis que la Bretagne commence ici avec ses maisons de granit, alors que le Couesnon n’est pas encore dépassé. Je traverse pour la première fois la belle Rance, majestueuse, aux abord verdoyants. Entre Villedieu-les-Poêles et Avranches, de superbes ponts métalliques, des ouvrages dignes enjambent encore les vallées.

J’ai percé Lannion, traversé sa périphérie pleine de grandes surfaces de plus en plus nombreuses, pour venir ma ficher directement sur la place centrale qui a été complètement refaite depuis la dernière fois que je suis venu. Il me semble qu’en décembre 2011, quand je suis venu enterrer ma grand-mère, tout ceci n’existait pas encore. La ville m’a semblé déserte, sans vie, sur une place où les petits commerces semblent fermer les uns après les autres. Signe des temps ? Une certaine tristesse supplante le désir.
J’entre dans le magasin de Sophie qui ne me reconnait pas au premier abord, me dit bonjour et retourne à ses occupations. Je suis content de la revoir, nous ne nous sommes pas vus depuis deux ans, son regard et sa voix sont toujours aussi doux ; elle m’inspire à chaque fois une incroyable sérénité. La dernière fois, elle m’a invité à dîner à Kerenoc et j’ai fait la connaissance de sa petite famille qui vit dans une belle maison au bord d’une petite baie, face au soleil qui plonge dans l’eau. Son magasin est une antre magique, pleine de recoins secrets, de boîtes mystérieuses qu’on n’ose à peine ouvrir, de récipients à thé, de théières aux formes épurées, de boîtes en métal pleines à ras-bord de thés exceptionnels venant du monde entier, des raretés, des Pu Er mythiques enfermés dans des boîtes qu’on croirait sorties d’un bazar de Saïgon et qui pourraient, si on n’y prenait garde, renfermer quelque serpent venimeux. Cette fois-ci elle m’a sorti un thé confidentiel, un thé violet du Yunnan dont elle sait me raconter l’histoire, un thé à grandes et belles feuilles, des jeunes pousses odorantes qui produiront une décoction subtile ; un thé de campagne, comme elle dit.
Malheureusement, elle doit partir pour honorer une invitation. Je repars de là avec mon thé, mes boules d’osmanthe, un thermos en verre (l’autre a explosé grâce à un chat de ma connaissance) et deux énormes pots à thé tournés et émaillés de Cécile Poisson, des pièces vraiment exceptionnelles à la texture très étranges. Je ne sais pas si je reverrai Sophie cette année.
En partant de Lannion, je décide de pousser jusqu’à Tréguier ; il est un peu tard et j’espère quand-même pouvoir trouver une pâtisserie à me mettre sous la dent. Par chance, c’est encore ouvert et je tombe des nues que Madame Adam me reconnaisse à chaque fois que je viens. Elle est encore très belle, joliment bronzée. Je suis peut-être encore plus étonné de voir qu’elle et son mari son toujours ensemble…
Le parvis a bien changé. Il a été pavé, proprement, c’est assez joli. Je ne suis pas resté suffisamment longtemps pour bien respirer l’air de la ville, mais il faisait beau et chaud. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas fait aussi beau ici. Je pense que ça doit remonter à 2003, l’année de la canicule.

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