Je me lève avec le dos perclus de douleurs. Hier matin j’ai terminé le livre de Jordi Soler, la dernière heure du dernier jour, un livre brut, monobloc, avec une écriture très dense, très serrée, laissant peu de place aux dialogues et qui ne se fie quasiment qu’au récit. C’est une histoire dure qu’on ne peut pas raconter. Le livre ne restera peut-être pas forcément longtemps dans ma mémoire, mais je suis allé au bout.
Et j’ai décidé avec fermeté que je vais faire mon possible pour lire tous les livres que achetés ces dernières années en séparant mon temps de lecture en deux. Le matin, lecture de romans, le soir, lectures utiles (politique, histoire, art, etc.). Une nouvelle vie commence. Une vie remplie à l’extrême, une vie à la fois triste et dense. Une vie qui ressemble à la vie d’un moine.
On est dimanche et je dois recréer tous les supports que j’ai perdus lors du cambriolage, puisque j’avais tout mis sur le bureau de mon PC et pas sur le serveur. Je suis bon pour tout recommencer, mais ça ne me dérange pas plus que ça, j’ai le temps et l’énergie pour le faire. Ça me permet de me remettre en question sur mes pratiques de formation à chaque fois que je le fais. Plus ça va, plus je me rends compte que j’enrobe les items de ma grille de compétences dans un fatras de données dans lesquelles les stagiaires se perdent, mais quand je dis qu’ils s’y perdent, c’est avec bonheur. Les deux heures que je prends pour les faire travailler sont toujours très denses, rarement délayées dans du saupoudrage, et ils ressortent de là souvent contents d’avoir pu mener leur travail à bien. Même s’ils ne perçoivent pas tout de suite l’intérêt de ce qu’ils produisent, ils ressortent en ayant acquis de nouvelles compétences et ils ne savent en général pas lesquelles. J’ai aussi introduit à la fin de chaque évaluation une grille d’auto-évaluation qui leur permet justement de pointer les items qu’ils ont parcouru, et je leur demande s’ils savaient faire ou pas, et s’ils estiment à présent savoir faire. C’est précisément à ce moment-là qu’ils comprennent ce sur quoi ils ont travaillé et qui leur permet de comprendre également que la matière sur laquelle ils ont travaillé est juste un moyen de supporter (au sens de support) d’autres connaissances. Et au terme de ces deux heures, nous pouvons échanger sur ce que nous avons fait, sur le sujet que je leur ai donné (les îles arctiques, les Khmers Rouges en 1975, etc.), des sujets qui sont des sujets pour lesquels j’ai moi-même une appétence. Je travail avec mes goûts personnels… Il y en a au moins qui sait de quoi il parle…
Hier après-midi, France Culture, j’ai découvert Yves Citton, penseur suisse. Il y a de très bonnes choses dans ce qu’il dit, notamment en parlant d’un autre penseur dont il se sent proche, Luis Jorge Prieto, qui développe un concept qui à mon sens, est central dans la formation professionnelle et l’insertion, le double concept de pertinence et de pratique. Je n’en dit pas plus, car je n’en sais pas plus.
Mon travail de journal de pratiques a réellement commencé.
Dimanche soir : au lieu de travailler je suis allé voir les livres et j’ai acheté les lettres d’Amérique de Stefan et Lotte Zweig que j’avais repéré depuis quelques temps. J’avais dit que j’arrêtais mais c’est faux. Une jeune fille est passée devant moi, mais j’ai surtout vue ses jambes aux mollets parfaits dans des collants de laine noire. Elle s’est adressée au vendeur en lui disant avec une moue vulgaire « qu’est-ce que vous me conseillez parce qu’il faut que je me remette aux bouquins, là… » Se remettre aux bouquins comme on se remet à boire ou comme on se remet au sport… Le mieux, c’est peut-être de ne pas arrêter…