Archive for April, 2013

#54

Apr 14 2013 Published by under Uncategorized

Je viens de me rendre compte que le 6 août, je n’ai quasiment pas pris de photos sur le chemin vers Arycanda, que je n’ai jamais vu. Passé trop de temps sur la route pour si peu de choses. J’ai l’impression que tout ceci est déjà si loin.
J’ai déjà et encore la tête à İstanbul ; d’ici là, peu de choses auront prise sur moi, je commence à me connaître. Je m’en fais tout un plat, mais ce n’est que İstanbul… Voilà que je dis n’importe quoi. Je me fais une joie d’y retourner, de parcourir les rues, de sentir les odeurs, mais on a beau parler de tout ça, vouloir le faire partager, la limite de tout ça est dans le sujet qui l’énonce car la différence entre lui et les autres, c’est que lui l’a véritablement vécu, et le vivra encore, à sa manière. Le partage n’est qu’une carotte qu’on agite pour susciter du désir, mais en aucun cas un calque des affects. Ce qu’est İstanbul pour moi restera pour moi.

Ara Güler  Enfants jouant dans un cimetière à Ortaköy - 1985

Photographie d’Ara Güler, 1985,
enfants jouant parmi les tombes dans le cimetière d’Ortaköy, İstanbul

A présent, il me faut monter le projet de ce voyage, régler les derniers détails des réservations et savoir surtout ce que je veux ramener comme images, sons, papiers, journaux, comment je vais agencer tout ça.
Mais avant tout, reposer mes genoux, en faire le moins possible, continuer à lire, à peindre, ne sachant plus où donner de la tête. Dans ce fatras, j’ai tendance à oublier que j’ai des productions à rendre à la fac…

Mon intelligence des choses progresse plus vite que moi : je m’époumone les mains en cornet à lui crier de m’attendre. Elle se moque de moi et me détruit. Vingt ans de vie passionnée, parfois heureuse, et consciente, m’ont juste permis d’inviter chez moi ceux qui — ou plutôt ce qui — m’égorge.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir
Indonésie, 1970
Éditions Payot

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#53

Apr 13 2013 Published by under Uncategorized

Les radios sont plutôt rassurantes, pas d’usure des os, pas de déformations, le médecin trouve que j’ai plutôt de jolis genoux, surtout à l’intérieur. J’ai passé l’après-midi anxieux ; en revenant du boulot, j’ai lu un peu et je me suis endormi et réveillé juste à temps pour filer à la clinique, où j’ai été reçu par une jeune fille brune aux cheveux longs attachés strictement, la peau très blanche, un parfum musqué, qui m’a demandé d’enlever mon pantalon dans la cabine ; ça fait toujours un drôle d’effet, mais si c’est un ordre, je m’exécute. On est ensuite venu me chercher, pas la jeune fille en tunique verte, mais une femme sèche aux jambes arquées, une cinquantaine d’années qui donne envie de se rhabiller, devant qui je me suis mis dans des positions absurdes, pour ne pas dire humiliantes. De retour dans la salle d’attente, j’ai poireauté une heure avant que mes résultats ne sortent. Comme je sais qu’un médecin doit passer pour donner le résultat, c’est toujours un moment d’angoisse, et là on se dit « ça y est, il vont découvrir un truc jamais vu, ils vont faire venir un grand spécialiste de Chicago pour voir ça tellement c’est fou, non mais regardez là c’est quoi ce truc ?! ». Froussard hypocondriaque.

genou

Tout va bien pour l’instant, je dois me contenter de prendre mes anti-inflammatoires et de dix séances de kiné pour remettre tout ça d’équerre. Je vais me ménager, week-end sans marcher, je m’en voudrais de passer mes vacances à la terrasse d’un café à ne pas bouger mon cul.

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#52

Apr 12 2013 Published by under Uncategorized

Mustafa Pasha YamulkiJe n’ai rien dit du genou, celui qui me fait souffrir depuis une semaine, souvenir de Cappadoce, et qui m’a fait ressembler à un pauvre hère toute la journée, moral en berne. Le médecin l’a regardé et écouté craquer avec un air maussade pas très rassurant. Rotule qui n’est pas dans sa gouttière. Pas seulement celui-ci, l’autre aussi. Radio et on verra, je ne peux pas me prononcer. Air sombre. Anti-inflammatoires. Ce matin, je peux marcher sans boitiller, on verra bien ce que ça donne. La perspective de passer mon après-midi à la clinique me ravit. J’emmènerai de quoi lire.

Les jours passent, le départ approche et je n’ai pas encore d’hôtel pour la Cappadoce mais je vais trouver ; la période est fréquentée (la haute saison ?) et les prix flambent, je vais me rabattre sur du bas de gamme, Mustafapaşa trop cher, j’irai certainement m’enterrer à Çavuşin, ce qui me va plutôt bien, à deux pas des vallées, dans le désert de roches friables, dans le tuf.

Ça va pas mal, cela s’étoffe, le ton se trouve, mais éviter que cela s’estompe, il faut vraiment nourrir ce livre des petits événements quotidiens, des calories et vitamines à disposition, et lui faire à force de fort amour des arêtes un peu coupantes.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir
France, 1958,
à propos de L’usage du monde en préparation
Éditions Payot

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