#95 #La vie devient une enquête

Jun 28 2013

Il suffira d'un signe

Photo © Lea Marzloff

Je me rends compte que je passe mon temps à prendre des notes sur mes rencontres, sur les gens qui croisent ma vie et ma route et les mots qui traversent ma route sont souvent remplis d’un sens amplifié par la simple requête de mes intentions. Sentir l’autre, le sentir bouger, le sentir vivant. Je ne suis moi-même qu’en étant certain de l’autre. Difficile dialectique. J’ai réussi à me fondre dans l’immense communauté des autres.

Mieux vaut ne pas sortir le carnet dans la rue. Les gens deviennent tout de suite paranoïaques.

Jonathan Littell, Carnets de Homs
Gallimard, NRF, 2012

A mon retour de Turquie cet été, je suis tombé sur cet article concernant la Syrie parce que j’étais resté quasiment un mois sans savoir ce qui s’y passait alors que je me trouvais à moins de sept heures de routes d’Alep lorsque je me trouvais à Nevşehir : “Père et fils à la guerre, où on voit ça ? Pays de tarés.” (fichier PDF : Libe_28-08-12). Je n’arrive pas à m’en détacher et garde ces mots plantés dans la chair. Évidemment, je n’arrive pas non plus à ne plus penser à Natal, que j’ai pu voir cette semaine (large sourire, elle parlait bien et fort) et qui, derrière son visage souriant, masque tout le désarroi de sa situation. Je ne suis personne ici, autant que je retourne dans mon pays pour mourir, ça ne pourra pas être pire. Je ne peux m’empêcher de culpabiliser, parce que c’est par mon insistance auprès de ma responsable et de mes collègues qu’elle a réussi à entrer dans l’école. Aujourd’hui, privée de statut, privée de papiers, privée de Sécurité Sociale, elle ne peut même pas bénéficier de la gratuité des transports et ne peut même plus venir chez nous. Aujourd’hui, elle est sans statut, elle n’a même pas de statut juridique. Je suis prêt à faire des allers et retours pour aller la chercher et qu’elle puisse travailler ; mais ma responsable ne me le permettra pas. Ce qui me ronge au quotidien, c’est de ne pouvoir aider tous ceux qui le méritent. Je suis pour cette raison un mauvais professionnel, trop d’affect dans mon jugement, dans mes pratiques, trop de connivences, trop de tout, mais c’est ce qui fait mon humanité, je n’y peux rien. Je préfère être un mauvais professionnel, mais un humain bon, en accord avec son esprit.

Mes carnets, mes notes, mes écrits seront certainement un jour les témoins à mes propres yeux de ce que j’ai réalisé, ou que j’ai été empêché de réaliser…

Des nouvelles de mes jeunes. Fanta ne revient plus, elle veut attendre tranquillement chez elle les résultats de ses examens qu’elle aura le 5. Marina malade. Jordan toujours au rendez-vous. Lisa, vient quand elle n’est pas trop stressée, elle m’inquiète énormément. Marwa, rarement là, elle commence son stage lundi à la poste, gros soucis de famille. J’ai encore passé pas mal de temps avec Tigran, qui pour me remercier de l’aide que je lui ai apportée a fait un cadeau à mon fils, parce que je lui avais spécifié que je n’avais pas besoin qu’il me remercie en m’offrant quelque chose. Il a tout de même réussi son coup en visant mon fils. Tous les deux étaient très émus.

Question master, je suis dans le plus grand flou, il faut que je me lance. Ce week-end, je pense, sera décisif pour l’avancée de mon travail.

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