J’ai terminé vendredi matin le petit livre d’Annemarie Schwarzenbach, commencé il y a deux jours. C’est un livre doux, puissant, d’une poésie rare et suave, ce n’est pas qu’un livre de voyage. Étonnamment, elle y parle très peu de sa compagne de route, Ella Maillart.
J’ai trouvé sous mon bureau La trilogie des confins de Cormac McCarthy ; je pense que je vais me garder ça pour cet été. Bon, c’est quand même un gros livre, je ne sais pas si ça ira dans mon sac… un peu lourd.

Annemarie Schwarzenbach
par Marianne Breslauer
Hier matin, je suis allé au marché d’Ermont et je me suis fait plaisir ; de la bonne terrine maison chez le charcutier, du parmentier de canard chez le volailler et le plein de bons fromages : une Epoisse à point, de l’Etivaz bien salé, du Comté affiné 18 mois, de la Tomme d’Auvergne… J’ai aussi trouvé de la tapenade et un superbe tarama au saumon et à l’aneth.
Mon genou va beaucoup mieux. Les deux à vrai dire. Ma première séance chez la kiné a fait des merveilles et hier a été la première journée depuis plusieurs semaines où j’ai pu marcher normalement, sans boiter, sans avoir l’impression que mon genou partait tout seul en avant ; en bref, avoir le plein usage de ses jambes. Je commence à réenvisager la Turquie d’une manière un peu plus sereine.

Shah-i Mashhad
Le printemps est bel et bien là, même si les températures jouent au yoyo. Je regardais dimanche les branches décharnées d’un petit érable planté contre le muret, peut-être un negundo ou un flamingo, ses bourgeons peinaient à sortir ; en cette seule journée de dimanche, et depuis ce jour, les frêles bouquets de feuilles ont poussé de presque trois ou quatre centimètres ; une extraordinaire poussée qui a dû lui demander des efforts surnaturels…
Hier, j’ai pris le temps de préparer une séquence qui m’a permis de faire un peu de magie avec les stagiaires qui m’ont dit “oui, ben ça va être facile tout ça…” et une heure après ils étaient toujours en train de travailler dessus, deux se sont complètement trompés et ont dû tout recommencer. Le truc facile s’est transformé en véritable enfer pour eux et ils sont ressortis de là en sachant utiliser des outils qu’ils croyaient connaître. Pari gagné. J’aime quand la magie prend, j’aime faire des tours de passe-passe avec eux, faire en sorte que les connaissances soient transmises, non pas dans la douleur, mais dans un rite dont la pratique s’assimile à celle du chamane ; mise en condition, connivence, introspection, transe, délivrance… C’est au formateur de trouver le bon canal, la bonne transe, le bon rythme de tambourin pour que tout se mette en place sans douleur…
Avant de partir, j’aimerais avoir le temps de lire ce petit livre sur le Mont Athos, cet étrange lieu interdit à toute créature femelle en général et aux femmes en particulier. La République Monastique du Mont Athos.
J’ai lu plus de livre en quatre mois que l’année dernière en un an. Et en ce moment, je lis plus de livres que je n’en achète, ce qui est un inversement de tendance non négligeable…
Par une large porte à ogive, je suis entré dans la médina. Elle s’endormait. Volets bleus persans tirés sur de petites boutiques, échoppe d’argentier entouré d’un crépi vert amande, ce génie ingénu des couleurs si fort dans tout l’islam. Fumées du marchand de brochettes, flaques encore tièdes du dernier baigneur au hammam. Pas, odeurs de menthe, dernière flûte. Entré dans le dernier café ouvert.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir
Afrique du nord, automne 1958
Éditions Payot
Reliques barbares. La relique barbare ; c’est ainsi que John Maynard Keynes nommait l’or, mais c’est ainsi que l’on pourrait nommer les bijoux de ces pays dont on a du mal à conserver le souvenir tellement ils sont devenus inaccessibles, lointains. Tout ceci ne doit pas faire perdre de vue le fait que les humains, s’ils ont créé des chefs-d’œuvre, ils ne sont pas exempts de les détruire. Les Mongols ne sont pas gênés pour raser certaines des plus belles cités ; Balkh ou Gonbad-e Kāvūs font partie du lot ; il ne reste plus rien des antiques cités, mais les humains sont toujours là.
Je regardais hier le prix des billets d’avion pour Mashhad en Iran, c’est donné. On dirait que ces destinations sont bradées étant données les sanctions économiques appliquées au pays. Adresse de l’ambassade de France en Iran : 85, rue Neauphle-le-Château, Téhéran. A mourir de rire…
Mashhad, frontière avec le Turkménistan, moins de 200km de l’Afghanistan, icône du chiisme, tombeau de l’imam Reza (Abû Hasan `Alî bin Mûsâ al-Ridhâ, أبو الحسن علي بن موسى الرضا), le huitième du chiisme duodécimain.
Connaître le monde inconnu… n’en reste que des témoignages.

Photo © Sacred Sites
Oublions le bleu impérissable de la mosquée de Gohar Shad, la chaleur accablante dans les cours qui semblent résonner dans une harmonie de couleurs et de formes. Oublions l’obscurité et le luxe des miroirs à l’intérieur du sanctuaire, les gémissements et les pleurs des pèlerins décharnés, ces chiites venus de tous les coins de l’Asie et qui ont rêvé pendant des dizaines d’années de baiser les barreaux du sarcophage. Ils ont traversé le désert et subi les pires fatigues pour pouvoir aujourd’hui poser leurs pieds nus sur le sol de marbre et voir s’ouvrir les quatorze portes d’argent et les deux portes d’or. Ils s’agenouillent alors en sanglotant, s’accrochent avec les cris rauques de l’épuisement et de la joie hystérique aux barreaux de fer derrière lesquels, dans le noir, repose l’imam, au milieu de tapis modernes, de turbans, d’offrandes votives et de textes saints. Dehors, tout autour de la spacieuse mosquée, les artisans — chaudronniers et orfèvres, selliers et tailleurs — travaillent dans de minuscules échoppes semblables à des cages. Dans des pièces aux voûtes arrondies, remplies de tapis poussiéreux, les vendeurs marchandent, et le puits qui descend du bazar jusqu’aux ténèbres de la citerne compte cinquante marches. Les porteurs en guenilles vacillent sous le poids de leurs outres de cuir.
Annemarie Schwarzenbach, Où est la terre des promesses ?
avec Ella Maillart en Afghanistan (1939-1940)
Editions Payot
Je me demande si un jour je me satisferai de l’endroit où je me trouve…